Voici l'île la plus isolée d'Alaska, et ceux qui y débarquent ne peuvent pas y survivre longtemps

À des centaines de kilomètres au large du continent se trouve une bande de terre accidentée et solitaire. Celle-ci est sans cesse battue par des vents mordants, et la puissante mer de Béring se déchaîne contre ses bords rocheux. Chaque fois que des êtres humains ont tenté en vain de s'y installer, cela ne faisait que confirmer un fait : l'île n'est tout simplement pas faite pour nous. Mais lorsqu'on creuse un peu plus, on s'aperçoit que les conditions climatiques impitoyables ne sont que la partie émergée de l'iceberg : une menace bien plus inquiétante se cachait dans les bosquets isolés de l'île. Et aujourd'hui, les vestiges terrifiants découverts sur l'île révèlent enfin les horreurs de son passé.

Même dans le monde connecté d'aujourd'hui, un voyage à Saint-Matthieu nécessite une journée entière de bateau depuis St. Paul, dans les îles Pribilof d'Alaska. Pas étonnant donc que les visiteurs soient rares. Ceux qui y parviennent ne trouvent qu'un endroit désolé et solitaire, peuplé exclusivement d'oiseaux de mer et de campagnols chanteurs. Mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle ces visiteurs ne voudront sans doute pas s'éterniser.

Mais l'histoire nous enseigne que Saint-Matthieu n'a pas toujours été ainsi. En fait, des preuves suggèrent que des humains y ont construit des abris dès le 17e siècle. À une époque, l'île abritait des milliers de rennes errant dans la nature. Mais à présent, tout est terne et sans vie, avec des ossements dispersés à travers le territoire. De quoi avoir des frissons, non ?

Connue comme "l'île qui n'a pas pu être conquise", Saint-Matthieu a obstinément résisté aux humains et aux animaux ayant tenté d'y élire domicile. Des dizaines d'entre eux ont débarqué ici au cours des siècles, mais ont tous péri ou se sont enfuis. Mais pourquoi cet endroit est-il si peu adapté à la survie ?

Vous pouvez penser que Saint-Matthieu est la seule île inhabitée des États-Unis. Pourtant, il existe de nombreux îlots sur le sol américain exempts de vie humaine, même si la densité de population n'a jamais été aussi élevée. Et si certains de ces îlots se trouvent dans des endroits très éloignés, d'autres sont étonnamment proches de chez nous.

À une extrémité du spectre, par exemple, on trouve des endroits comme l'île Howland. C'est un petit bout de terre de 2,5 kilomètres carrés situé à peu près à mi-chemin entre l'Australie et les États-Unis. Dans les années 1930, c'est là que la célèbre aviatrice Amelia Earhart comptait faire escale lors de son funeste vol autour du monde. Bien entendu, elle n'est jamais arrivée.

D'un autre côté, on trouve des lieux comme High Island, un îlot inhabité situé dans le Bronx. Au fil des années, il a servi aussi bien de carrière que de lieu de villégiature. Mais, depuis les années 1960, l'île est utilisée pour abriter des pylônes radio. Et même si New York est célèbre pour son manque de logements, ce minuscule territoire est resté vide pendant des décennies.

Bien sûr, il y a de nombreuses raisons qui expliquent qu'une île demeure inhabitée, qu'il s'agisse de conditions inhospitalières, de problèmes environnementaux ou encore de situations politiques tendues. Mais dans des endroits comme Saint-Matthieu, la raison pour laquelle quiconque chercherait à s'y installer ne ferait pas long feu est totalement différente. En effet, la vie y est dure, même dans les endroits où des gens ont réussi à survivre, à plus forte raison dans cette région peu accueillante de l'Alaska.

Prenez l'archipel de Tristan da Cunha, par exemple, qui est généralement considéré comme abritant les îles habitées les plus isolées de notre planète. Depuis le 19e siècle, une petite population de colons courageux y vit – dans un endroit situé à plus de 2 000 kilomètres de la côte sud-africaine. Mais en l'absence de piste d'atterrissage et avec environ un bateau par mois, vivre dans un endroit aussi éloigné comporte de nombreux défis.

À quelque 10 000 km à l'est, sur l'île de Pitcairn, dans le Pacifique Sud, la cinquantaine d'habitants est confrontée à des difficultés similaires au quotidien. En 1790, les membres de l'équipage du navire britannique H.M.S. Bounty se mutinèrent contre leur capitaine après avoir perdu leurs illusions sur la vie en mer. Ils finirent par s'installer sur l'île, et certains de leurs descendants y demeurent encore aujourd'hui.

Comme Tristan da Cunha, les îles Pitcairn sont coupées du monde extérieur et ne sont approvisionnées que par un navire occasionnel. Cet isolement a également engendré des problèmes au fil des ans, la plupart des premiers colons sombrant dans la violence et l'alcoolisme. À présent, la vie y est plus calme, même si des scandales secouent encore de temps en temps cette communauté très soudée.

Mais selon les experts, la vie à Pitcairn est peut-être sur le point de prendre fin. Pour pallier au vieillissement de la population, le gouvernement a publié des annonces pour trouver de nouveaux résidents. Mais aucun ne s'est manifesté. Et si ce manque d'intérêt continue, la communauté pourrait disparaître d'ici la fin du 21ème siècle. Cela représenterait tout de même une période d'occupation de quelque 250 ans – bien plus longue qu'à Saint-Matthieu.

Comme vous le savez sans doute, la mer de Béring est une étendue d'eau profonde et glacée séparant le continent américain de l'Eurasie. Elle abrite un certain nombre d'îles isolées et à l'aspect lugubre. Saint-Matthieu, un îlot de 350 km² situé à environ 250 km de la côte de l'Alaska, en est un exemple. Pourtant, bien qu'il soit clairement hors des sentiers battus, ce bout de terre n'est pas l'endroit le plus isolé de la planète Terre. En outre, si des gens parviennent à vivre dans des endroits comme Tristan da Cunha et Pitcairn, pourquoi personne n'a-t-il réussi à s'installer là?

Au large de la côte sud de Saint-Matthieu, le promontoire rocheux de Pinnacle Rock s'avance dans la mer de Béring – un véritable obstacle pour les quelques navires s'éloignant si loin du continent. Au nord se trouve un petit bout de terre nommé Hall Island, où les morses se rassemblent quand la glace fond. Dans l'ensemble, il s'agit là d'un paysage spectaculaire, apparemment peu propice à la vie humaine.

Cela n'a bien sûr pas empêché les gens d'essayer – et les preuves de ces tentatives sont encore visibles aujourd'hui. Ainsi, le paysage de Saint-Matthieu est aujourd'hui jonché de vestiges de groupes ayant tenté et échoué d'apprivoiser cette île sauvage. À un endroit, Sarah Gilman, rédactrice pour le magazine Hakai, a découvert de vieux barils rouillés laissés à l'abandon, se désintégrant lentement comme d'étranges squelettes le long du rivage. À un autre endroit, elle a aperçu un poteau marquant l'emplacement d'une installation militaire de navigation. Étrange, n'est-ce pas ?

Dans le coin sud-ouest de l'île, Gilman a trouvé les fondations de cabanes temporaires jonchant le paysage, ainsi qu'une toilette solitaire abandonnée depuis longtemps par ceux l'ayant amenée ici. Au nord de l'île, on trouve les vestiges d'un établissement encore plus ancien.

Il y a environ 4000 ans, on pense que des membres de la culture préhistorique de Thulé ont voulu construire une maison creusée sur cette partie sauvage de la côte. Mais même ce peuple robuste, dont descendent les Inuits modernes, n'a pas pu supporter la vie à Saint-Matthieu. Ils sont donc partis s'installer sur d'autres rivages.

Ivan Synd, lieutenant de la marine russe, était persuadé d'être le premier à avoir foulé le sol de la plus grande île de Saint-Matthieu, après y avoir débarqué en 1766. Il était si sûr de sa découverte qu'il a donné à l'île le nom de l'apôtre biblique. Cela n'a toutefois pas empêché l'explorateur anglais James Cook de faire une déclaration similaire à son arrivée sur l'île 12 ans plus tard.

Pourtant, il s'est avéré qu'aucun de ces deux hommes n'a été le premier à découvrir Saint-Matthieu. En effet, au moins un groupe de colons est arrivé sur ce morne rivage dès le 17e siècle. Mais qui étaient ces premiers aventuriers, et pourquoi sont-ils venus sur cette île ?

En 1957, une grande découverte a été faite à Saint-Matthieu. Les experts ont découvert une maison creusée dans la roche, qui daterait des années 1650. À l'époque, on ne sait pas grand-chose de cette construction, mais les poteries trouvées dans la région suggèrent qu'elle est liée à la culture Thulé. À ce titre, elle était antérieure de plus d'un siècle à l'arrivée de Synd et de Cook.

Les ancêtres des Inuits d'aujourd'hui, les Thuléens, sont apparus sur le territoire de l'actuel Alaska vers l'an 1000. En quelques centaines d'années, leur territoire s'est élargi à certaines parties du Canada et au Groenland. Mais, à l'époque de la construction de l'habitation de Saint-Matthieu, l'impact environnemental du petit âge glaciaire a commencé à décimer leurs communautés.

Au milieu de tous ces bouleversements, il semblerait qu'un groupe de Thuléens soit arrivé à Saint-Matthieu. Devant ce paysage peu engageant, ils ont creusé un abri pour se protéger des intempéries. Toutefois, selon les archéologues, ils ne semblent pas avoir construit de foyer, ce qui semble indiquer que l'habitation n'a été utilisée que pendant une courte période.

À en croire les experts, de nouvelles preuves viennent étayer l'hypothèse selon laquelle les Thuléens ne seraient pas restés très longtemps à Saint-Matthieu. Autour du site, les archéologues n'ont en effet découvert que quelques rares objets, et non la profusion qui caractérise généralement une colonie établie. Mais pourquoi se donner la peine d'atteindre cette île lointaine, pour ensuite faire demi-tour et partir ?

La réponse à cette question pourrait se trouver dans les légendes racontées par le peuple Unangan, qui vit dans les îles Pribilof et Aléoutiennes, au sud de Saint-Matthieu. Apparemment, leurs légendes orales parlent d'explorateurs perdus qui se seraient échoués sur des îles étrangères. Et comme l'océan se déchaînait autour d'eux, ils furent contraints de camper à cet endroit jusqu'à ce que le chemin du retour devienne à nouveau accessible.

Selon l'archéologue Dennis Griffin – qui dirige les travaux dans la région depuis le début des années 2000 – ces récits pourraient expliquer ce qui s'est réellement passé à Saint-Matthieu. Échoué sur l'île, le groupe de Thulé a probablement dû attendre la fonte des glaces pour prendre la mer, a-t-il expliqué au magazine Hakai. Ou bien, au contraire, ils ont pu arriver en été et ont dû attendre que l'océan gèle pour pouvoir rentrer à pied.

Dans tous les cas, les Thuléens ont dû construire une demeure temporaire à Saint-Matthieu. Mais selon Griffin, la maison découverte en 1957 n'a été habitée que pendant quelques mois. Et bien que d'autres personnes aient pu tenter de s'installer sur l'île au cours des siècles suivants, il ne reste aucune trace de leur passage.

En fait, Saint-Matthieu pourrait être restée inhabitée jusqu'en 1809, lorsqu'un groupe de chasseurs onangans et russes essaya d'établir un camp sur l'île. À cette époque, l'île était un territoire apprécié des ours polaires, et les hommes espéraient récolter leur précieuse fourrure. Mais comme les Thuléens avant eux, ils n'ont pas fait long feu.

Les versions varient quant à ce qui a poussé les chasseurs à quitter Saint-Matthieu. Selon certains, le groupe a perdu sa source de nourriture quand les animaux ont quitté l'île, les laissant mourir de faim. Mais d'autres affirment que les Russes ont succombé au scorbut tandis que les Unangans ont réussi à se soumettre à un régime alimentaire restreint.

Une autre explication pourrait être que les ours polaires - les animaux mêmes que le groupe tentait de chasser - se sont avérés si féroces que les hommes se sont enfuis. Mais si cette hypothèse est séduisante, il est impossible de savoir avec certitude pourquoi ce groupe a abandonné Saint-Matthieu. Ce que nous savons, en revanche, c'est que lorsque Henry Elliot, naturaliste et peintre américain, arriva sur l'île en 1874, il la trouva peuplée de nombreuses créatures.

Mais cela pose la question suivante : pourquoi n'y a-t-il plus d'ours polaires à Saint-Matthieu aujourd'hui ? Lorsque l'expédition Harriman de Seattle arriva en 1899, il n'y avait plus un seul ours sur l'île. Comme les colons humains de l'île, ils semblent avoir brusquement disparu. Et bien qu'il y ait un débat sur ce qui s'est passé exactement, les experts pensent que les chasseurs sont probablement à blâmer.

Selon l'université de Fairbanks en Alaska, certains équipages canadiens et américains, en mal de divertissement pendant les longues périodes passées en mer, ont commencé à chasser les ours polaires de Saint-Matthieu pour le sport. Ils ont ainsi transformé l'île en un piège mortel, y compris pour les animaux les mieux adaptés à ses conditions difficiles. Dès lors, qui aurait pu espérer survivre dans un endroit si rude?

Dix-sept ans après l'expédition Harriman de 1916, le navire Great Bear a été surpris par la brume et s'est échoué sur Pinnacle Rock. Au début, les survivants ayant réussi à atteindre le rivage ont dû être heureux que la population d'ours de Saint-Matthieu se soit éteinte. Mais tandis qu'ils attendaient les secours, les conditions difficiles qui régnaient sur l'île ont commencé à faire des ravages.

Au début, les choses semblaient relativement encourageantes. Un homme est parvenu à construire un émetteur de fortune pour envoyer un message SOS depuis Saint-Matthieu. Mais très vite, il s'est rendu compte que l'atmosphère saturée d'humidité sur l'île entravait ses efforts. Et, alors que les semaines défilaient sans aucun signe de sauvetage, les hommes en vinrent à se disputer les ressources restantes.

Après 18 jours, l'équipage du Great Bear a fini par être secouru et s'est enfin échappé de Saint-Matthieu. Mais à peine 30 ans plus tard, un autre groupe de colons hésitants arrivait sur l'île. Il s'agissait cette fois de militaires américains, ce qui veut dire que les combats de la Seconde Guerre mondiale avaient même atteint cet endroit isolé.

Les navires et les avions des Alliés luttaient dans l'océan Pacifique, au sud de la mer de Béring. Et une station de navigation à longue portée (LORAN) fut établie sur Saint-Matthieu afin de les aider à trouver leur chemin dans ces eaux reculées. Mais la vie était dure pour les pauvres âmes choisies pour faire fonctionner la station.

Selon le magazine Hakai, Saint-Matthieu était un véritable enfer de neige épaisse, de blizzards durant dix jours et de précipitations qui transformaient régulièrement le sol en boue. Lorsque vint le moment de construire les installations militaires, des centaines de sacs de ciment furent nécessaires pour bâtir des fondations stables sur ce terrain accidenté. Hélas, les choses n'allaient pas devenir plus faciles pour eux une fois installés sur l'île.

Lorsqu'ils étaient stationnés à Saint-Matthieu, les militaires étaient complètement coupés du monde extérieur. Leur unique moyen de communication était le courrier, parachuté depuis les airs à des kilomètres de la base. Pour le récupérer, ils devaient organiser une opération complexe impliquant plusieurs équipes différentes et un traîneau rempli de provisions. Voilà des messages qui avaient intérêt à en valoir la peine !

Une chose dont ils ne manquaient pas, c'était la nourriture, grâce à un garde-côte astucieux qui avait introduit une population de rennes sauvages sur l'île. Mais même cela ne signifie pas que toutes les personnes stationnées sur l'île ont survécu à la guerre – selon le magazine Hakai, en tout cas. Par exemple, un jour, une équipe de cinq hommes a apparemment disparu en faisant une sortie en bateau alors que la mer semblait calme.

Après la fin de la guerre, ils quittèrent Saint-Matthieu, devenant ainsi les dernières personnes à rester sur l'île pour une longue période. Et en leur absence, les rennes ont prospéré. À tel point qu'un biologiste visitant l'île en 1963 en a compté jusqu'à 6 000. Mais comme toutes les formes de vie sur ce rocher solitaire, ils n'ont pas survécu. Trois ans plus tard, il n'en restait plus que 42 dans un paysage jonché d'ossements.

Selon les experts, les rennes ont vraisemblablement trop brouté sur la petite île et ont fini par succomber à la famine. Un nouveau drame à ajouter à la longue liste de ceux ayant frappé les humains et les animaux de Saint-Matthieu au fil des années. Malgré ces siècles de terribles histoires, certains font encore le voyage, surtout des scientifiques voulant étudier les oiseaux de mer locaux. Mais l'être humain parviendra-t-il un jour à conquérir ces terres de manière plus permanente ? Si l'on se fie au passé, cela semble peu probable.